Il aurait fallu que j’invente un mot, pour expliquer le mouvement qui nous jeta l’un vers l’autre et définit par la suite le lent cheminement qui nous mena directement vers la chute. Ce moment où, par fusion amoureuse, en voulant rassurer les peurs et l’égo, on s’est oubliés l’un dans l’autre. En joignant nos coeurs, nos têtes, en partageant chacun de nos instants, privés de la distance à franchir pour se rejoindre d’un bord à l’autre, petit à petit, et surtout, sans s’en rendre compte, on a cessé de se regarder.
Tu étais je et j’étais tu. Nous étions un, de ces clichés ambulants de l’Amour romantique, âmes soeurs, moitiés, un plus un égal un, nous sommes faits l’un pour l’autre, que ferais-je sans toi, je panique, mon amour, chéri, bébé, mon précieux, ne me quitte pas, sans toi, je ne suis plus rien, l’ombre de ton ombre, l’ombre de ton chien.
À deux nous n’étions pas plus forts, bien au contraire. Nous regardions pourtant dans la même direction, oubliant peu à peu le besoin d’être unique, partageant tout ou presque dans une intimité extrême. On aurait pu signer un contrat du sang de l’un de nous deux – sûrement le mien, puisque c’est ainsi que l’Homme-fort s’approprie la Femme-fragile dans les romans populaires à nuances de gris – pour autoriser l’autre à jouir et restreindre sa liberté à regarder d’autres culs. On aurait appelé ça l’Amour, et juré par tous les Dieux que c’était le vrai, le seul, l’unique – jusqu’à ce que la Mort nous sépare, ou presque, puisqu’on était destinés l’un à l’autre, on se retrouvera bien au Paradis.
Mais soudain, j’explose. Ou j’implose, c’est selon. Car le désir n’est plus, et le plaisir s’effondre tout aussi sûrement. Je réclame à corps et à cris le droit d’être regardée, désirée, objectifiée, car c’est ainsi, on ne baise plus. La charge érotique a pris le bord avec notre individualité. Nous faisons l’amour onanisme, machinal, préliminaires, coït, orgasme, et puis doucement coït, orgasme, enfin, débandade, assèchement, anorgasmie. Même le plus assidu des fappeurs a besoin d’images nouvelles pour inspirer le mouvement du poignet. Alors on dit, c’est la routine, l’âge, les enfants, le stress ; et on part en guerre contre l’ennui, acheter des sextoys, organiser des plans à trois, arrêter de péter au lit, tu pourrais faire un effort et mettre du rouge à lèvres, tu as pris du poids, tu ne t’épiles même plus. C’est le vagin confort comme des Charentaises, de celles qu’on enfile avec le pyjama, par habitude, parce qu’elles sont toujours au pied du lit.
C’est si triste, un vagin qui s’assèche et une bite qui ne bande plus, parce qu’on a oublié de nourrir le désir. Parce qu’on n’a plus le recul nécessaire pour s’observer vivre, plus l’espace d’être unique, plus la distance pour se regarder exister. C’est de l’amour presbyte. À force de se rapprocher par habitude et par peur de se perdre, on se perd l’un dans l’autre, et soudain, sans qu’on l’ait vu venir, l’autre n’y est plus.
Ya pas de morale ici. De toutes façons, c’est pas vraiment une histoire vraie. Juste une histoire ordinaire. À force d’avoir peur de se perdre, on en oublie parfois de se laisser de l’espace pour s’aimer.
Je titre : Éroticide.
Le suicide érotique, à petit feu. Une licence Disney.
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Photo EllaCalm