après l’hiver
Dans le métro j’observe les gens, couleurs, odeurs, peaux. Ton corps me manque, mon amour. Je voudrais te croiser par hasard, te serrer contre moi sans les mots, comme on se retrouve après un long voyage – après tout c’est de ça dont il s’agit. Je pense à ta bouche et je m’obsède. Ta barbe sur ma peau. Le bruit si doux de tes plaisirs. Je n’oublie pas la passion de nos dimanches après-midi. Je cherche un sens à la distance, et tout ce qui répond c’est l’appel de mon ventre, le désir flamme pour nous dévorer à nouveau.
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On s’est raconté si souvent nos rêves, nos idéaux. À la mesure de notre désir, je nous voulais immenses, vertigineux, et libres. Tu m’expliquais patiemment comment la somme de toi+moi tendait avec certitude vers l’infini. De la part d’un ingénieur, je te croyais dur. On se promettait l’Amour, le sexe, un toit, et des bébés. On se racontait nos baises, nos fantasmes, les autres gens avec qui on aurait fait l’amour – on aurait baisé la Terre entière de toutes ses belles personnes si on avait pu. On était insatiables. Ça nous excitait, et tu avalais mon corps et mon jus comme un affamé. Je me sentais si belle. Unique. Parfaite. Je gémissais de tes coups de langue et criais sous tes coups de queue. J’ai souvent pensé, je l’avoue, que ma jouissance suffirait à te rendre heureux.
En deux ans moins quelque chose on en a bouffé des litres de fluides en échantillons, dans ma bouche et la tienne et ma chatte et ton cul. Le tien aussi, perforé par un phallus de silicone. J’ai pénétré ta gorge, ton ventre, ton coeur, ton cerveau, et puis, un jour, la connexion a disparu. Qui es-tu, où es-tu, que résonne le nous.
Je t’ai lancé sur tellement de pistes pour que tu te trouves qu’après tout ça, je t’ai perdu. Qui es-tu, je t’ai dit, et tu savais pas vraiment me décrire, et puis tu ne savais plus rien, alors on a essayé ensemble encore et encore, toutes les formes, tous les genres, tous les mots, tous les contenants. Trouve-toi, je te supplie, trouve ta forme et ta direction pour que tu puisses à ton tour me contenir.
Je t’aimais si fort, trop fort, je te voulais heureux, paisible, ancré ; je te voulais à l’image que je me faisais de toi, je voulais tellement t’y voir et que tu sois enfin ; peut-être qu’au travers des errances où tu t’es laissé emmener, dans la chaleur de mes bras rassurants et mon optimisme infaillible, peut-être, j’ai fini par t’étouffer.
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Un peu plus tard assise à côté de moi il y a une fille cheveux bleus, veste cuir, et je suis cuir et rose moi aussi. Le métro shake, ligne verte presque vide, je traverse la ville d’un bout à l’autre dans l’espoir d’y croiser le souvenir de ton regard bleu-barbe. J’espère que quelque part ton coeur bat encore, j’espère exister toujours dans ton espace de vie, j’espère que la douleur du nous n’a pas submergé les dernières traces du désir d’être unis.
J’espère que bientôt, demain peut-être, on refera l’Amour à deux.